Baromètre de reprise économique WeDigitalGarden #1

WeDigital.Garden
11 min readApr 21, 2020

Tendances-clés pour mieux anticiper les scénarios d’un futur incertain

Secteur #1 : aéronautique et aérien

La crise du Coronavirus Covid-19 est mondiale. Elle impacte profondément les supply-chains, les opérations (choc de l’offre) mais aussi la demande et les modes de consommation (choc de la demande), et par la-même les équilibres financiers des entreprises et des Etats (choc financier).

Face aux incertitudes multiples que fait peser cette crise sur l’économie, seules les entreprises qui sauront anticiper et s’adapter au « new normal » pourront en réduire l’impact et se préparer efficacement à la reprise.

Dans cet environnement incertain, il est indispensable pour les entreprises d’identifier les scénarios des possibles, et s’y préparer au mieux.

Dans cet objectif, WeDigitalGarden, en s’appuyant sur des savoir-faire cross-disciplinaires Stratégie, Design, Data et Growth, tentera, chaque semaine pour un secteur économique différent, d’identifier les tendances probables, et ainsi permettre aux entreprises de regagner en visibilité dans ce nouveau monde incertain.

Cette semaine, nous établissons les possibles scénarios pour l’industrie aéronautique et le transport aérien.

Trois scénarios pour le secteur aéronautique mondiale pendant et après le Covid-19 :

REUTERS/Lindsey Wasson

Scénario 1 : vers une chute durable du trafic aérien — probabilité 8,3/10

En février 2020, le trafic aérien passager s’est effondré de 14,1% dans le monde. « Il s’agit de la plus forte baisse du trafic depuis le 11 Septembre, reflétant l’effondrement des voyages intérieurs en Chine et la chute brutale de la demande internationale à destination et en provenance de la région Asie-Pacifique, en raison de la propagation du virus Covid-19 et des restrictions de voyage imposées par les gouvernements », note l’IATA.

Ed Bastian, le directeur général de Delta, anticipe une chute de 90% des revenus de la compagnie au deuxième trimestre.

Le groupe Air France-KLM perd 25 millions d’euros par jour du fait de coûts fixes incompressibles.

Avec la réduction durable des vols, c’est toute en filière aéronautique qui est en difficulté : les compagnies sont gravement mises en difficulté, voire font faillite (75% d’entre elles n’ont pas plus de trois mois de cash disponible devant elles), plus de la moitié de la flotte mondiale est clouée au sol, des aéroports ferment et certaines commandes d’avions commencent à être annulées.

Le modèle économique des compagnies aériennes est brutalement perturbé, car les coûts ne peuvent tout simplement pas être couverts par le volume d’une demande anémique.

Vers moins de consommables et une évolution des besoins de maintenance ? Probabilité : 9/10

Des avions qui ne volent et n’atterrissent plus sont des avions qui s’abîment différemment.

Les opérations de maintenance évoluent en conséquence, ce qui nécessite une nouvelle organisation de la maintenance, mobilise de nouvelles compétences, voire déplace une partie de la chaîne de valeur vers les transporteurs aériens qui peuvent réaliser tout ou partie de ces opérations de maintenance.

Certains constructeurs majeurs voient leurs ventes de pièces neuves et leurs services de réparation s’effondrer, d’autant plus que la facturation est proportionnelle aux heures de vol ou au nombre d’atterrissages.

Vers le développement du commerce de pièces détachées ? Probabilité : 9/10

Face à la baisse massive de la demande de transport aérien, les compagnies aériennes vont accélérer la vente d’une partie de leur flotte.

Ce mouvement a déjà été initié par le groupe Lufthansa, qui a supprimé la quasi totalité de ses vols passagers au moins jusqu’au 19 avril, a placé plus de 60% du personnel, soit 87 000 employés, en chômage partiel, et décide de “réduire de manière permanente des capacités” de transport : au moins 42 avions court, moyen et long-courriers seront retirés de la flotte composée de 763 machines actuellement. Cela inclut six Airbus A380 dont la vente au constructeur était “de toute façon prévue à partir de 2022”, onze Airbus A320, sept A340–600 et cinq Boeing 747–400.

Certains acteurs du marché vont en profiter pour élargir leurs offres : racheter ces avions, les désosser pour mettre en place une nouvelle filière de vente et de locations de pièces détachées. De nouvelles “marketplaces pourraient ainsi voir le jour, faisant pression sur les prix des pièces neuves et d’occasion.

Vers une réduction du nombre de destinations ? Probabilité : 7/10

Le virus étant persistant dans de nombreux pays, et son traitement n’étant pas résolu par les avancées médicales, l’offre de vols et le nombre de destinations va se réduire considérablement, entraînant la fermeture temporaire ou définitive de nombreux petits et moyens aéroports et accélérant ainsi un mouvement déjà initié par ailleurs.

Certaines régions du monde ne seront plus desservies par avion, rebattant ainsi les cartes du marché de la mobilité, notamment les aéroports régionaux qui ont trouvé leur essor avec le low-cost.

Quels scénarios d’adaptation ?

L’ensemble des compagnies est durablement impacté. Celles qui sont rattachées à des entités nationales (les majors historiques notamment) parviennent à trouver un support auprès de leurs Etats respectifs.

Les compagnies nationales, fragilisées d’avant la crise (Alitalia, Tarom, etc.) trouvent dans ce support un soutien inespéré pour leur survie… temporaire, avant une reconfiguration du marché (rachats ou disparition pure et simple, les états ne pouvant pas subvenir durablement à leurs besoins de capitaux, et les instances de régulation internationales interdisant le subventionnement déguisé).

Les compagnies aériennes pivotent pour partie, en valorisant aux mieux leur programme de fidélité : elles développement de nouveaux services qu’elles mettent à disposition des grandes marques, afin de doper leurs ventes, et en tirent de substantiels relais de croissance.

Les compagnies low-costs, qui ne bénéficient pas de tels attachements nationaux souffrent durablement, et vont devoir trouver des financements privés pour asseoir leur survie, s’adapter dans leur offre, ou disparaître définitivement.

Dans le domaine de la maintenance, de nouveaux acteurs émergent, en rachetant des avions et en en vendant les pièces détachées. La flotte est modernisée, du fait même de la vente des avions les plus âgés, ce qui accélère un mouvement déjà installé. Ou, a contrario, une flotte consommatrice de kérosène est maintenue du fait du moindre coût du pétrole provoqué par la baisse de la demande mondiale.

Les équipementiers et les constructeurs d’avion réduisent massivement leurs investissements, recherchent un soutien de la part des Etats, et se focalisent sur le militaire au dépend du civil.

Scénario 2 : un trafic aérien soumis au gré des stop & go de la propagation du virus — probabilité 7/10

China’s Tech Companies Start Production of Face Masks — EE Times Asia

Le Covid-19 est durablement présent, la pandémie n’est pas complètement enrayée, et les contaminations resurgissent de façon régulière et décalée par zone géographique.

Les gouvernements décident de dé-confiner malgré tout les populations sous la pression des acteurs économiques pour tenter de re-dynamiser l’économie.

De nouvelles contraintes sanitaires sont mises en place, sous l’action des acteurs gouvernementaux et/ou la pression des personnels du transport aérien : la distanciation sociale dans le transport aérien est imposée, le port du masque obligatoire à bord, la mesure de la température des passagers à chaque point de passage est systématisée, et le nettoyage antibactérien est opéré de façon accrue, ce qui alourdit les coûts et les temps de rotation des appareils.

Vers une disruption de l’aérien ? Probabilité 7/10

La distanciation sociale obligatoire impose aux compagnies aériennes de voler avec une densité de voyageurs moindre : les voyageurs sont répartis de telle sorte que seul un siège sur deux est occupé.

Le manque à gagner est significatif, et seul le soutien étatique permet aux compagnies de poursuivre leurs opérations dans cet environnement économique très dégradé.

D’autres compagnies, notamment les low-costs qui ne peuvent se permettre un taux de remplissage aussi bas, se voient contraintes de réduire massivement leurs opérations, de se transformer en un modèle “affaires”, voire de disparaître, provoquant une vague de licenciements.

De nouveaux acteurs en profitent pour faire leur entrée sur le marché : les Google et Amazon, peu impactées par la crise du Covid-19, rachètent des petites compagnies en faillite et disruptent le secteur, en s’appuyant sur leur puissance commerciale et leur connaissance client.

Des compagnies de jets prennent une place prépondérante dans le marché aérien réduit en volume et largement orienté “affaires”, en proposant des vols réguliers ou sur demande multi-clients vers des destinations clés.

Vers de nouveaux produits ou services dérivés ? Probabilité 7/10

Les nouvelle normes et contraintes sanitaires obligent les compagnies aériennes et les constructeurs à mettre en place des procédures et des dispositifs inédits, afin de préserver la santé des personnels et des clients. Des acteurs industriels se réinventent pour fournir des dispositifs de protection sur les comptoirs d’embarquement, offrir des masques de protection qui deviennent le nouveau must have des compagnies aériennes, des systèmes de file d’attente avec marquage de distanciation sociale, des films de revêtements de surface auto-nettoyants…

L’intérieur des avions est également restructuré : l’espacement des sièges doit être repensé, avec des séparateurs physiques, et la soute est utilisée pour accroître l’espace dédié aux passagers.

Les compagnies aériennes réorganisent les procédures d’embarquement/débarquement (avec un coût associé, compte tenu des temps accrus). Les files prioritaires ne sont plus réalisées en fonction du statut élite de la compagnie, mais du statut sérologique inscrit du passager logé dans son smartphone.

Les constructeurs allouent des budgets R&D sur des matériaux et des dispositifs antibactériens répondant aux nouvelles exigences sanitaires. Des sauts technologiques vers des avions plus sains sont atteints, en s’appuyant notamment sur les travaux menés dans le secteur hospitalier. Des solutions technologiques sont développées pour détecter la présence virale à l’intérieur de la cabine, condition sine qua none pour valider ou non l’embarquement des passagers.

Vers une prise de conscience écologique ? Probabilité 7/10

Ces quelques mois de confinement ont grandement marqué les esprits. La pollution de l’air a diminué, et une majorité de personnes est convaincue par l’impact écologique qu’elle peut individuellement avoir sur la planète, sans drastiquement réduire leur qualité de vie : on privilégie les circuits courts, et le Flygskam suédois gagne du terrain en Europe. Et ce d’autant que l’aérien est redevenu un produit de luxe.

Les professionnels réduisent grandement leurs déplacements qu’ils n’estiment plus nécessaires. Ils privilégient le télétravail, qu’ils trouvent d’autant plus efficient qu’ils l’ont expérimenté durant le confinement, et que les entreprises se sont équipées de technologies qui elles-mêmes ont évolué favorablement.

Les destinations lointaines deviennent moins séduisantes, voire inabordables, au profit des localités plus proches, accessibles en train. Le secteur ferroviaire fait lui-même sa mue avec des compartiments accroissant le confort mais aussi la sécurité sanitaire des passagers. Seuls les longs courriers sont maintenus pour les besoins professionnels, et les courts courriers sont réduits au détriment d’autres moyens de transport.

Quels scénarios d’adaptation ?

Les compagnies aériennes peuvent continuer de voler, mais avec une mutation profonde de leurs opérations afin de garantir la sécurité des personnels et des clients. Par là-même, leur business model est profondément impacté : on revient à un modèle de transport aérien principalement tourné sur le segment affaires et luxe, car les prix au siège s’envolent.

Les compagnies low-costs doivent muter pour survivre dans un environnement où le taux d’occupation maximum des sièges n’est plus la règle.

Ce faisant, la séparation entre low-cost et majors historiques ne fait plus sens. C’est le savoir-faire commercial et la maîtrise des slots qui priment pour capter une clientèle réduite en nombre.

Compte tenu des prix élevés que propose le transport aérien, les solutions alternatives de tourisme prennent le dessus : les destinations rapprochées et le transport par train, qui a réintroduit les compartiments, trouvent un nouvel essor.

Scénario 3 : vers un retour à la normale du trafic aérien — probabilité 1,5/10

La pandémie est complètement et rapidement enrayée sur l’ensemble des continents, du fait à la fois des effets du confinement et de la mise sur le marché de traitements médicaux qui limitent massivement les risques de santé. Le dé-confinement des populations est alors total et les normes sanitaires ainsi que la distanciation sociale prennent fin.

L’économie repart et les Européens partent massivement en vacances, heureux de pouvoir à nouveau goûter aux joies du voyage. De même, les vols business trouvent un nouvel essor, soutenu par une volonté des entreprises de regagner les parts de marché à l’international perdues par la période de confinement.

Le trafic aérien reprend avec les mois d’été, les taux de remplissage sont au maximum des capacités des compagnes aériennes, qui bénéficient encore d’un pétrole bon marché.

Vers des problèmes de recrutement ? Probabilité : 1,5/10

Cette forte reprise d’activité en période pré-estivale génère des tensions sur le marché de l’emploi de l’aéronautique. Les pilotes doivent être requalifiés, faute d’heures de vols suffisantes dans les semaines de confinement. Une tension sur les équipages apparaît, et ce d’autant que nombre de compagnies aériennes ont réduit leurs effectifs, se préparant à une crise durable. Seules les compagnies ayant la capacité de disposer rapidement des équipes navigantes parviennent à capter au mieux la croissance.

Des tensions sur l’ensemble de la supply chain ? Probabilité : 1,5/10

La forte reprise impacte la chaîne logistique aérienne, qui doit se remettre en ordre de marche et se re-synchroniser. Des acteurs comme Amazon, qui n’ont pas cessé leurs activités, viennent aider la logistique des entreprises qui peinent à approvisionner en pièces de rechange, freins, moteurs, kérosène pour les avions. Certains fournisseurs avaient quant à eux anticipé ce moment de tension, en consolidant leurs stocks pendant le confinement, et en ayant maintenu leurs activités industrielles à moitié de leur capacité.

La forte hausse du prix du pétrole causée par une demande mondiale qui s’envole met sous tension le monde du transport, qui accélère ses options d’appareils économiques.

Une ré-orientation vers plus de support et de services ? Probabilité : 1,5/10

La reprise du trafic aérien engendre un surcroît d’activité pour toute la filière. Les avions qui n’ont pas volé depuis plusieurs mois doivent être révisés avant leur remise en activité.

Ces révisions demandent beaucoup d’échanges entre les avionneurs et les fabricants, qui peuvent aboutir à des contrats de partenariat privilégié. Certains fabricants envoient ainsi leurs experts directement sur place afin de monter des équipes de maintenance agiles.

Ce support est une opportunité pour les constructeurs de développer de nouveaux outils digitaux de gestion des tâches et d’organisation sur demande, qui permettent d’optimiser les opérations.

Quels scénarios d’adaptation ?

Les grands équilibres des compagnies aériennes sont renforcées : celles qui détiennent les plus grandes flottes, le plus grand nombre de slots, qui sont présentes sur les destinations les plus rentables captent une part importante de la croissance du trafic aérien.

Des compagnies qui souffrent d’une structure de coûts trop lourde poursuivent leur activité, portées par un marché en croissance jusqu’à la prochaine crise.

Ce rapide nouvel essor relance cependant le débat sur la pollution, et les gouvernements, qui ont largement re-financé les compagnies, font pression pour que celles-ci engagent des significatifs plans d’action de réduction des émissions.

Conclusion :

Les scénarios d’un impact durable du coronavirus sur le secteur aérien, suivi de stop & go successifs au gré de l’évolution du Covid-19 au niveau international, sont sans doute les scénarios les plus probables.

Les conséquences sur l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur (constructeurs, compagnies aériennes, services aéroportuaires, catering, etc.) risquent malheureusement d’être massives pour les entreprises et pour l’emploi. Seules sans doute les entreprises les plus solides parviendront à absorber le choc de cette crise sans pareille.

Au-delà de la capacité des entreprises du secteur à réduire leurs coûts durant cette période difficile, cette crise risque également de faire émerger de nouveaux acteurs, de nouveaux services, de nouvelles technologies, et ainsi reconfigurer massivement un secteur déjà fragilisé dernièrement.La note méthodologique :

--

--